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Michel Onfray

Michel Onfray - La manifestation de la colère du peuple était inéluctable (Figaro Magazine) - 11 janvier 2019

13 Janvier 2019, 16:44pm

Publié par Anonyme

Lien de l'hebdo : ici

Extrait de l'article : ici

Michel Onfray - La manifestation de la colère du peuple était inéluctable (Figaro Magazine) - 11 janvier 2019
Michel Onfray - La manifestation de la colère du peuple était inéluctable (Figaro Magazine) - 11 janvier 2019

Tiré du site : https://eldorhaan.wordpress.com/2019/01/13/michel-onfray-la-manifestation-de-la-colere-du-peuple-etait-ineluctable/

Michel Onfray : «La manifestation de la colère du peuple était inéluctable»

 

Dans un nouvel essai qui fera date, le philosophe revisite l’Antiquité romaine pour y puiser une morale face au nihilisme contemporain. L’occasion d’évoquer avec lui la vie, la mort, le courage, l’impossibilité de débattre en France, Emmanuel Macron,
le mouvement des «gilets jaunes» et le spectre de la Révolution française…

Dans les premières pages de Sagesse, votre nouveau livre, vous faites revivre Pompéi au point que le lecteur se retrouve plongé dans l’Antiquité romaine. D’où vous vient votre passion pour cette période?

De ma rencontre avec Lucien Jerphagnon quand je suis arrivé à l’université de Caen. Il a été mon professeur de philosophie
antique et m’a subjugué avec un cours sur Lucrèce. J’ai alors suivi des cours d’histoire romaine et d’archéologie antique afin de mieux entrer dans ce monde-là. C’était il y a plus de quarante ans…

À travers ce livre, vous opposez une philosophie théorique grecque et une philosophie pratique romaine. Vous vous placez résolument du côté de Rome. Pourquoi?

Parce que le lignage grec a triomphé avec le judéo-christianisme, qui est un idéalisme forcené puisqu’il tient pour plus vrai ce qui n’existe pas, un ciel habité plutôt que ce qui existe. La philosophie allemande domine le paysage philosophique depuis
l’idéalisme kantien jusqu’à la phénoménologie heideggérienne. Elle a accouché du déconstructionnisme via le structuralisme, la forme ultime de l’idéalisme. Ce lignage accouche de professeurs qui ne pensent la discipline que dans la transmission
incestueuse à des disciples soumis dans l’Institution. Le vocabulaire hypertechnique qui exclut le non-initié sert de signe de reconnaissance à la tribu et permet en même temps d’éloigner les gueux – auxquels je m’adressais à l’Université populaire
de Caen.

Rome n’aspire pas à faire des professeurs, c’est-à-dire des sophistes et des rhéteurs, des dialecticiens et des casuistes, mais des hommes sages dans leur vie quotidienne. La sagesse pratique est l’objectif romain alors que celui des Grecs est très
souvent l’art philosophique pour l’art.

Le débat intellectuel en France est-il confisqué par les héritiers d’une philosophie grecque désincarnée? Leur goût pour l’abstraction explique-t-il la difficulté de débattre?

Non, ce qui explique la difficulté de débattre en France, c’est l’importance que joue la Révolution française dans l’imaginaire intellectuel français. 1793, la Terreur, le gouvernement révolutionnaire, le tribunal du même nom et Robespierre ont fait
de la guillotine l’horizon rhétorique de prédilection du «gauchisme culturel», pour utiliser une expression de Jean-Pierre Le Goff, qui est le lot commun de l’intelligentsia française – y compris si souvent à «droite».

Vous opposez également la morale du courage de la civilisation gréco-romaine à la morale du pathos de la civilisation judéo-chrétienne, que vous comparez à un immense «pleuroir»…

Dans un chapitre, je propose une philosophie du rire et des larmes et constate qu’à Rome on pleure, certes, mais qu’on ne pleurniche pas comme saint Augustin. Voyez Les Confessions: Augustin n’arrête pas de «chialer» comme aurait dit mon vieux
maître Lucien Jerphagnon. Même chose avec sa mère, qui est une fontaine…

La vertu des vertus chez les Romains c’est le courage, elle oblige donc à faire face, à faire front – donc à ne pas pleurer. Chez les premiers chrétiens, la vertu des vertus est le martyre: mais quel courage y a-t-il à mourir quand on croit qu’à l’issue
de ce sacrifice on va retrouver ses morts et Dieu pour l’éternité? Voilà pourquoi le christianisme chérit la mort et pleure de joie à l’idée d’une vie éternelle en compagnie de Dieu.

N’avez-vous pas tendance à noircir le christianisme? Notre civilisation n’a-t-elle pas aussi produit de grandes choses?

Ne me faites pas dire le contraire: bien sûr que oui! Je suis athée, mais un athée chrétien parce que je ne peux éviter d’être un pur produit du judéo-christianisme y compris dans mon athéisme! La première formulation concrète de l’athéisme provient
du curé Meslier, au début du XVIIIe siècle et, au siècle suivant, la première charge philosophique la plus destructive contre le christianisme vient de Nietzsche qui était fils, petit-fils de pasteur et lui-même destiné à l’être.

Vous qui détestez la corrida, vous allez jusqu’à faire l’éloge des combats de gladiateurs. Pourquoi?

La gladiature n’est connue que par le péplum ou la peinture de péplum qui donne l’impulsion au cinéma – je songe à Gérôme, que j’adore. Et le cinéma, ici comme ailleurs, parvient à imposer une fiction en lieu et place de la réalité. Le péplum est
un art chrétien avec des Romains méchants qui persécutent les gentils chrétiens avant que le méchant légionnaire ne trouve le chemin de Jésus via une belle et gentille esclave qui le convertit à l’amour. Pour ce faire, le Romain doit être sanguinaire,
barbare. Et quoi de mieux, pour étayer cette fiction, que d’instrumentaliser la gladiature?

Or, elle obéit à des règles du jeu très précises, avec un arbitre: avez-vous jamais vu l’arbitre dans un péplum? Jamais. La gladiature, sport populaire, permet aux Romains de mettre en scène ce qu’ils chérissent le plus: le courage. La mort n’en est
pas forcément l’issue. Quant à la corrida, elle propose de faire de la souffrance animale un spectacle, c’est indéfendable. L’histoire de la gladiature est longue et ses règles ont changé. Rite religieux au départ, pur spectacle ensuite, elle
finit par être un genre de sport et finit dépravée avec certains empereurs qui étaient eux-mêmes dépravés – je songe à Commode, le fils, hélas, de Marc Aurèle. Sous l’empire, les gladiateurs sont volontaires, professionnels. Ils ne meurent pas
toujours, peuvent arrêter de combattre et devenir entraîneurs. Et puis, on ne le dit jamais, il y avait aussi des femmes gladiatrices!

On a le sentiment que vous vous identifiez à la figure du gladiateur, à son courage…

Je crois en effet que le courage est la vertu des vertus et que chacun, là où il est, doit en manifester. Le philosophe le devrait aussi, lui plus qu’un autre puisqu’il fait profession de vertu.

Votre livre ressemble à un manuel pratique de sagesse où vous tentez de répondre à différentes questions que tout le monde se pose pour mieux vivre. On devine cependant que certaines vous hantent peut-être aujourd’hui plus que d’autres notamment après votre AVC: «Comment vieillir?» ou encore «Comment mourir?»…

C’est un livre de partage et de transmission. Pour ma part, j’ai vécu assez de choses, deuils et maladies, âge et expériences, pour n’être plus à l’heure de la réflexion mais à celle du partage des acquis de la réflexion. Après Décadence, qui
racontait le fissurage de notre civilisation, j’ai reçu beaucoup de courrier me demandant: «Et on fait quoi maintenant?» J’ai eu à cœur d’écrire ce livre pour expliquer comment on pouvait vivre concrètement au pied d’un volcan, quelle morale était
possible afin de vivre et de mourir debout.

» LIRE AUSSI – L’écriture, la mort, les médias, la politique: les confidences du philosophe Michel Onfray

Vous avez malheureusement eu l’occasion de méditer ces questions ces derniers mois…

Mon premier pépin de santé date de 1988, un infarctus. Il y a eu ensuite un accident cardiaque, puis deux AVC: j’ai eu longuement le temps de me faire un avis sur la question! J’ai perdu ma compagne d’un cancer qui a duré treize ans, mon père est
mort dans mes bras, je ne crains ni la vieillesse ni la mort. La suite dira si je persiste dans cette sérénité.

Vous tentez également de répondre à la question de l’engendrement. Ne regrettez-vous jamais de ne pas avoir eu d’enfants? Pourquoi?

Je ne regrette pas du tout. J’aime les enfants et n’ai jamais voulu leur offrir une vie dans un monde où les prospérités vont si souvent au vice et les malheurs à la vertu. Je n’avais envie ni d’éduquer au vice, si souvent payant, ni d’écarter la
vertu, tellement souvent peu payée de retour.

Vous aviez prévu l’effondrement de Macron. Avez-vous tout de même été surpris par le mouvement des «gilets jaunes»?

Je sais, depuis mon enfance dans un milieu pauvre, la misère induite par la paupérisation, qui s’avère inséparable du capitalisme libéral. Je savais aussi que le virage libéral du Parti socialiste en 1983 et son ralliement au marché avec une accélération
causée par l’État maastrichtien en 1992 aggravait les choses. Je savais inéluctable la manifestation de cette colère et l’ai beaucoup écrit depuis une vingtaine d’années. Je n’ai donc pas été surpris par la fronde mais par les formes prises par
cette insurrection.

Ce peuple qui s’est soulevé a longtemps été absent des écrans radars médiatique et politique. Vous réjouissez-vous de le voir sortir de son invisibilité?

Totalement! J’ai écrit tout de suite sur le site de ma web télévision et, jusqu’à ce jour, combien ce peuple que j’avais appelé old school dans un entretien au Figaro et qui m’avait valu les insultes de la presse maastrichtienne, était le mien.
Ce qui me réjouit plus que tout, c’est que ce mouvement révèle, au sens photographique du terme, l’état critique de notre société : on voit désormais comment fonctionne la presse connivente, qu’elle soit privée ou d’État – elle est de toute
façon subventionnée par le contribuable – pour imposer la loi de l’État maastrichtien ; on voit combien des journalistes, des éditocrates et un grand nombre d’intellectuels, de «chercheurs» ou d’universitaires, eux aussi payés par l’État,
sont connivents avec le pouvoir ; on voit combien le ministère de l’Intérieur, l’Élysée, Matignon, les communicants du Château n’ont pas reculé devant les moyens les moins démocratiques, donc les plus bas, pour bâillonner un peuple qui a
faim: insultes, mépris, désinformation, attaques ad hominem, instrumentalisation, donc banalisation, de l’antisémitisme, du racisme, de l’homophobie, du fascisme, tabassages, mutilations (de terribles photos sur le net en témoignent), arrestations
policières, filatures et arrestation de Julien Coupat ou d’Éric Drouet… La France, patrie des droits de l’homme? Je crois que Macron a considérablement abîmé l’image de la France dans le monde en très peu de temps.

Doit-on aller vers plus de démocratie directe pour sortir de cette crise démocratique?

C’est toute la thèse de Décoloniser les provinces: je crois à un socialisme libertaire qui n’a rien à voir avec le socialisme de droite des socialistes et des libéraux maastrichtiens ou avec le socialisme des barbelés cher au cœur des robespierristes
de tout poil. C’est celui de Proudhon, qui met la liberté au-dessus de tout et suppose un communalisme libertaire à même d’en finir avec le jacobinisme et le centralisme parisien. Pareille organisation est autogestionnaire, elle part de la base,
elle instaure la démocratie directe avec des élus révocables grâce au mandat impératif.

Elle refuse la violence et tout ce qui s’avère liberticide. L’État n’y est pas un instrument de coercition jacobin mais la garantie girondine du fonctionnement vraiment décentralisé de la démocratie – c’est dans Théorie de la propriété de Proudhon.
Cette option politique n’a jamais triomphé dans l’histoire parce qu’elle a toujours eu en face d’elle des violents liberticides de droite et de gauche. Encore aujourd’hui, ils sont là, embusqués.

Vous avez souvent dénoncé la dimension totalitaire de la Révolution française. Les violences de certains «gilets jaunes» ne vous inquiètent-elles pas?

Si, bien sûr. J’ai beaucoup lu et je lis beaucoup sur la Révolution française. Et je ne vois que trop le parallèle. Je relis ces temps-ci les pages que Taine consacre aux premières semaines de la Révolution française. Le mépris que Macron oppose depuis
plus d’un mois à cette parole de gens qui veulent du pain se double d’arrogance et de morgue, de suffisance et d’autoritarisme, de propagande et de coups bas: c’est la bonne recette pour en arriver au sang. Or, une fois le premier sang versé,
plus rien n’est susceptible d’être contenu.